Dans un couple comme le nôtre, composé d’un grimpeur acharné, farouche adversaire de l’eau, et d’une nageuse dans l’âme rêvant de passer ses congés à flotter dans la mer, planifier les vacances peut vite devenir un sujet de débats « incandescents ».
Mais, étant liés par une passion commune - la randonnée -, après d’interminables discussions, nous parvenons toujours à trouver un compromis qui satisfait les envies capricieuses de nos deux esprits têtus.
Cette année, notre terrain d’entente a pris les couleurs de la Gomera, au cœur de l’archipel des Canaries : avec ses reliefs brun-noir plongeant à pic dans les eaux bleues de l’océan Atlantique, cette île d’origine volcanique offre en effet une multitude de sentiers pour les amoureux de trekking.
Notre projet ? Faire le tour de la Gomera en 7 jours en suivant le GR-132, aussi appelé “Camino Natural de las Costas”.
Si ce nom vous fait penser à une paisible promenade longeant le littoral, avec de douces montées et descentes à proximité de la mer, détrompez-vous ! Car, comme nous l’avons bientôt appris à nos dépens, après chaque ascension los barrancos - des ravins abrupts creusés dans la montagne par l’érosion des eaux de ruissellement – vous barreront le chemin, en vous obligeant à faire un long détour pour les contourner.

Ainsi, ce qui, dans une autre géographie, aurait pu être un circuit en boucle avec un faible dénivelé, s’est en revanche avéré être pour nous un épuisant parcours en dent de scie.
Étape 1 - De San Sebastian à Hermigua
Le GR 132 commence et se termine à San Sebastián, la capitale de La Gomera, que nous avons rejointe en ferry depuis le port de Los Cristianos, à Tenerife. C’est depuis cette même ville que, il y a plus de 500 ans, Christophe Colomb a levé l’ancre avec ses caravelles pour entreprendre son voyage à la découverte de l’Amérique.
À notre arrivée, cette île chargée d’histoire nous a accueillis chaleureusement. Au programme : un après-midi de snorkeling pour explorer les fonds noirs de la plage de la Concha, suivi d’une soirée dansante au rythme effréné du rock espagnol. Mais cette dolce vita de vacanciers insouciants ne devait pas durer longtemps.

Après une nuit reposante, aux premières lueurs du jour, nous voilà déjà en train de monter les raides escaliers qui mènent au début du GR 132. Ce premier effort est récompensé par une vue dégagée sur San Sebastián, avec son étendue de maisons basses et colorées, au style architectural traditionnel.
A notre droite, un soleil somnolent illumine d’orange la masse imposante du Teide qui, du haut de ses 3714 mètres d’altitude, domine sans rival l’île de Tenerife. La silhouette vague de ce volcan, le plus haut sommet d’Espagne, nous accompagnera tout au long de l’étape d’aujourd’hui.

L’itinéraire de cette journée de marche se divise en deux parties. La première, essentiellement en montée, nous conduit au cœur du "Jardin d’Eden " des cactus. Ici, toutes les formes, couleurs et variétés de plantes grasses et succulentes sont permises : des "arbres" d’agaves et d’aloès vera, des "bouquets de roses" d´echeverias, des "buissons" de figues de Barbarie….

La deuxième partie, bien plus humide, offre un mélange atypique de plantes tropicales et méditerranéennes, où palmiers et pins s’unissent pour former une seule grande forêt. Pour nous, randonneurs continentaux, l’effet est dépaysant : comme si la nature elle aussi était partie en vacances.
Nous savourons en silence cette immersion dans un paysage à la fois fascinant et hostile, où seuls quelques rares bergers, osent s’aventurent.
Au bout de 8 heures de marche, 28 kilomètres et 1 200 mètres de dénivelé positif, notre première étape du tour de la Gomera à pied s’achève avec une looooongue descente vers le village de Hermigua, où nous accueille une vaste étendue de bananiers et de papayers.

Étape 2: De Hermigua à Vallhermoso – 18,5km, 1000m D+
Encore un réveil matinal pour un départ de bonne heure, avant que l'œil incandescent de Sauron ne vienne anéantir nos énergies.

Après avoir regagné la côte, première mise en jambe de la journée : une montée presque verticale à travers les plantations des bananiers nous mène jusqu’à Agulo. Petite pause-café dans ce joli village traditionnel aux maisons rouges-vertes-blanches, avant de reprendre l'échauffement des quadriceps sur un autre sentier encore plus raide.

Arrivés à Juego de Bolas, nous faisons une halte culturelle au Centre des Visiteurs du Parc de Garajonay. Ici, nous apprenons que la forêt de lauriers, aux origines ancestrales, qui recouvre le centre de l´île représente l'exemple le mieux préservé de Laurisilva dans le bassin méditéranéen et de la Macaronésie (archipel comprenant les îles Açores, Madère, Canaries et Cap Vert).
Désormais limitée à quelques rares endroits dans le monde, cette forêt humide d’arbres à feuilles pérennes couvrait pratiquement toute l’Europe à l’ère du Tertiaire, il y a plusieurs dizaines de millions d'années.
Dans le musée, en plus de dépoussiérer nos connaissances en SVT, nous retraçons les traditions des habitants de la Gomera à travers les âges: des Guanches, le peuple autochtone d’origine berbère, aux Gomeros actuels. A notre grande surprise, nous découvrons que la momification des défunts, dont les corps étaient conservés dans des grottes, était autrefois une forme courante de sépulture sur cette île.
Autre note de folklore local: le silbo, un langage sifflé (malheureusement en voie de disparition) que les habitants utilisent pour communiquer à distance, étant donné que le son peut voyager d’une vallée à l’autre sans se soucier du dénivelé.
Toujours pour s’adapter à la géographie escarpée de La Gomera, les bergers ont développé un mode de déplacement ingénieux : le saut à la perche. A l’aide de longs piquets en bois, ils peuvent ainsi grimper n’importe quelle pente et bondir agilement d’un rocher à l’autre tout en suivant leurs chèvres.
La visite se termine par un jardin botanique où fleurit une panoplie d’arbres et de plantes tropicales aux mille couleurs. Notre coup de cœur: la blanche et élégante protéa.

Après cette parenthèse reposante, le moment est venu de reprendre nos sacs à dos. Il nous reste huit kilomètres à parcourir avant d’arriver à la Playa de Vallehermoso, avec son château abandonné surplombant l’océan. La vue sur la mer nous fait (pour ainsi dire) oublier les souffrances endurées durant cette interminable descente.

Mais ce sortilège s’évapore dès qu’on touche l’eau. Les pieds de Gio, couverts d’ampoules, cessent de marcher. Dans ces conditions, il est impossible d’atteindre notre hébergement, situé à 3 kilomètres de la plage (en montée, bien sûr). Grâce à une rapide négociation avec les locaux, nous obtenons un passage jusqu’au village de Vallehermoso, où nous peut enfin nous écrouler dans nos lits.
Étape 3: De Vallehermoso à Arure – 16km, 1380m D+
L’étape d’aujourd'hui, non remboursable et non modifiable (conditions de vente que nous nous sommes imposées nous-mêmes), nous oblige de reprendre la route malgré les ampoules douloureuses de Gio.

En partant directement du centre de Vallehermoso, nous empruntons une variante du GR qui nous mène jusqu'aux Chorros de Epina, une fontaine naturelle que la sécheresse de ces derniers mois n’a pas épargnée.
Après cette première montée matinale (900 D+), nous entamons notre habituelle descente jusqu'au village d’Alojera, où se termine officiellement la 3ème étape du GR. Cependant, comme nous avons réservé un hébergement à Arure, sur le plateau de Valle Gran Rey, nous devons parcourir 600 m de dénivelé supplémentaire en pleine chaleur.
Malgré la fatigue, nous apprécions la beauté de ce chemin caillouteux qui serpente le long d'une falaise noire et rouge, où les seuls signes de vie sont les battements d'ailes des pigeons gomeros qui s'envolent et le bruissement des lézards se cachant à l'approche de nos pas.

Dans une solitude totale, nous avons ainsi le privilège d'être les uniques spectateurs de cet étonnant tableau où cette nature aride se révèle en toute sa splendeur.
Tels des cairns, les figues de Barbarie nous indiquent le chemin jusqu'à l'ermitage d’Arure, où nous profitons d’une magnifique vue sur les falaises que nous venons de gravir. Les contours indéfinis de l’île de La Palma se dessinent à l’horizon.

Arrivés au village, nous prenons le temps de discuter avec un couple d’octogénaires qui tiennent une Tienda de Vino, la seule boutique ouverte pendant les heures de la siesta. Témoins d’une époque révolue, ils retracent l’histoire récente de l’île : la vie sous la dictature de Franco, l'émigration des Gomeros vers l'Amérique Latine et Tenerife en quête d’un avenir meilleur, puis la relance de l’économie après l’inauguration du ferry en 1974, qui a permis à l’île, jusque-là relativement isolée, de s’ouvrir au tourisme…
Après cette plongée dans le passé, notre immersion dans la culture locale se poursuit à table, avec une dégustation des spécialités locales. Au menu: l’almogrote (une crème à base de fromage et de mojo picón), du poisson frais servi avec des papas arrugadas (patates rôties) et un dessert préparé avec la farine de gofio.
Étape 4: De Arure à Valle Gran Rey – 8 km, 800m D-
Ce matin, le réveil sonne à 8h. Un luxe rendu possible par le fait que nous n'aurons que 8 km à parcourir aujourd'hui… et de plus en descente !
En réalité, nous avions prévu une étape bien plus longue, de 26 km, qui devait nous mener jusqu’au minuscule hameau de La Dama, sur la côte sud-ouest de l’île. Cependant, n’ayant pas trouvé de logement pour la nuit, nous avons dû modifier nos plans : la marche à pied a laissé place à la navigation sur l’eau, et l'observation des cactus à celle des cétacés.

Le prix à payer pour ce changement de dernière minute est une longue et pénible descente de 800 m de dénivelé, que nous parcourons à contre-courant. En effet, nos souffrances sont partagées par de nombreux randonneurs qui, ne craignant pas la chaleur, ont emprunté ce même sentier dans le sens opposé. Solidaires, nous nous échangeons quelques mots d’encouragement.

Une fois arrivés à Valle Gran Rey, nous rechargeons les batteries avec une baignade rafraîchissante dans les eaux agitées de celle qu’on surnomme “la station balnéaire et touristique de La Gomera”. Mais ne vous laissez pas décourager par cette appellation : ici, même les lieux les plus prisés par les vacanciers ont su préserver leur authenticité.

L’après-midi, notre programme prévoit une excursion à bord du bateau Oceano, naviguant sous drapeau allemand, afin d’observer la faune marine. A peine sortis du port, Nous apercevons déjà deux dauphins qui suivent le bateau. « C’est pour nous souhaiter bonne chance », nous assure la capitaine.

Toutefois, cet augure ne semble pas se réaliser tout de suite. Pendant deux longues heures, nous flottons sur les eaux bleues de l’océan scrutant attentivement l'horizon, mais en vain : à l'exception de quelques albatros, aucun autre signe de vie ne se manifeste.
Soudain, alerte à bâbord! Après avoir plongé durant des heures à la recherche de poissons, une famille de baleines remonte enfin à la surface pour faire un bain de soleil, à quelques mètres de notre bateau. Quelle émotion de les voir sauter, nager et jouer entre elles dans leur habitat naturel! L'attente en valait la peine.
Mais le moment de leur dire au revoir arrive bien plus rapidement qu'on ne le souhaiterait. En effet, bien qu’on ait éteint le moteur et respecté les distances préconisées, la capitaine nous explique qu’il vaut mieux ne pas les déranger trop longtemps. Le bateau vire alors à tribord en direction du port.

Une fois de retour sur terre, la nature nous réserve une dernière surprise: un superbe coucher de soleil qui unit le ciel et la mer dans les mêmes nuances d'orange.
Étape 5: visite du Parc de Garajonay
Après quatre jours d'itinérance, nous pouvons enfin jouir d’un moment de répit. Notre mission d’aujourd’hui ? Rejoindre Playa De Santiago, qui sera le point de départ pour notre dernière étape du tour de la Gomera à pied. Mais, comme pour aller d’un point A sur la côte à un point B également en bord de mer, il faut passer par le centre de l’île, nous en profiterons pour visiter le parc de Garajonay, poumon vert de cette île volcanique.

Toute la matinée, nous nous promenons dans ce labyrinthe de lauriers et de fougères, vestiges d’un passé lointain. Le mélange de brume et de lumière tamisée filtrant à travers les feuilles illumine le dense voile de mousse qui couvre les troncs des arbres, en leur conférant un air mystérieux.

Bien que charmés par cette atmosphère magique, nous devons vite mettre fin au sortilège car nos déplacements sont rythmés par les horaires (très limités) des guaguas (les bus, dans le dialect local). A la sortie de la forêt, un gentil touriste allemand nous offre un passage jusqu'à Chipude, où nous attendons plus de deux heures avant que le bus ne vienne à notre secours.
Arrivés à Playa de Santiago, nous ne sommes pas surpris par la petite taille de celle qui est considérée comme la deuxième station balnéaire de La Gomera. Rapide baignade et resto de poisson au bord de mer : notre mission ici est accomplie.
Étape 6: de Playa Santiago à San Sebastián - 20 km, 1020mD+
Pour cette dernière étape de notre tour de la Gomera, nous nous réveillons à la lueur des étoiles. La brise marine qui nous caresse à la sortie de notre hôtel sera le dernier goût de fraîcheur que nous savourons avant de nous aventurer dans le versant le plus aride de l’île.
Nous avons déjà quitté Playa de Santiago quand les premiers rayons de soleil nous rejoignent. Les eaux noires de l’océan se teignent en or.
Boostés par la beauté de ce paysage, nous avalons les premiers kilomètres du GR d'un pas rapide. Le but? Boucler les 1000 mètres de dénivelé positif qui nous attendent aujourd'hui avant que la chaleur ne devienne insupportable (spoiler: objectif manqué!).

En alternant (comme de routine) des petites montées et descentes, nous faisons le slalom entre des buissons asséchés et d’anciennes bergeries à l’abandon. De temps à autre, quelques brebis égarées croisent notre chemin. Cette traversée du “désert” nous semble interminable.

Mais soudain, tel un mirage, les eaux turquoise de la plage d’El Cabrito se révèlent à nous après l'énième virage. Les balises du GR nous indiquent que cette oasis lointaine sera notre étape intermédiaire. Quelle agréable surprise! Depuis le début de notre itinérance, c'est en effet la première fois qu’El Camino Natural de las Costas de La Gomera fait réellement honneur à son nom en longeant le littoral sur quelques kilomètres. Arrivés à El Cabrito - une petite crique cachée, accessible uniquement en bateau ou à pied - une baignade rafraîchissante s’impose, avec une séance de snorkeling incluse dans le pack.

Vers midi, après avoir fait le plein de vitamine D, nous quittons, bien qu’à contrecœur, ce paradis sur terre. Il est temps de mettre fin à notre aventure.
Revigorés par le pouvoir vivifiant de l'eau de mer, nous trouvons l'énergie nécessaire pour enchaîner, une dernière fois, une longue série de montées et de descentes avec un rythme soutenu. Seule la chaleur parvient à freiner notre élan de randonneurs aguerris.

Le soleil brille encore haut dans le ciel lorsqu’on aperçoit en contrebas les toits colorés de San Sebastian de la Gomera. Après avoir parcouru 92 km et 4830 m de dénivelé positif en 5 jours, nous pouvons enfin ranger nos sacs à dos et sortir nos maillots de bain pour rejoindre les autres vacanciers en bord de plage. La boucle est bouclée.
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Écrit le 28/11/2025 par :
Giovanna Crippa
Cheffe de produit Europe
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