Raymond Chabanier, accompagnateur en montagne, globe-trotter passionné d’espaces, a rejoint l’équipe Grand Angle en 1992. Solide, enthousiaste et « sécurit’ », c’est un pilier de l’agence ; il en connait presque toutes les destinations. Et pourtant, il garde intact le souvenir de ce raid en raquettes en Norvège, de Finse aux Fillefjell. Il vous en livre ici le récit rude mais ébloui… Moteur !
En ce début du mois d’avril 1997, me voilà en piste pour guider un séjour raquettes en Norvège. Une première pour moi. Je connais le pays, puisque j’y travaille régulièrement en été, mais cette virée en hiver est une nouveauté.
Je suis revenu récemment d’un long périple d’une année en Afrique Australe, Australie et Asie du Sud-Est, et soyons franc, ce n’est pas dans tous ces pays que je me suis préparé pour un raid dans le froid.
Toutefois, je suis assez excité par cette nouvelle aventure. C’est une belle reprise avec Grand Angle. L’itinéraire n’est pas compliqué et les paysages, somptueux.
Je retrouve donc mon petit groupe à Roissy, seulement 3 personnes, et c’est le vol sans histoire jusqu’à Oslo, puis le fameux train qui relie la capitale norvégienne à Bergen. C’est entre les deux villes, à Finse (1220m d’altitude), au milieu de nulle part, sur les hauteurs du plateau du Hardanger, que nous posons nos sacs.
Hormis la station de train, quelques baraques, un refuge hôtel où nous logerons deux nuits, quelques rennes… C’est un paysage blanc, immense et sauvage, qui nous entoure. Parfait pour une escapade loin de l’agitation !
Les augures célestes sont avec nous : au plus proche de son passage près de la Terre, la comète de Hale-Bopp s’observe facilement à l’œil nu et décore le ciel pur et cristallin de ces hautes latitudes. Spectacle garanti, alors que nos pieds nous rappellent qu’il fait -30°C.
La deuxième journée à Finse est plutôt tranquille : mise en jambe agréable et randonnée facile jusqu’au pied du glacier du Hardanger Jokull : belle calotte glaciaire culminant à 1861m, où nous touchons la glace bleue à la base de celui-ci. Le paysage est sublime.
La météo encore favorable ce matin, quoique froide, commence à se dégrader en début d’après-midi. Les nuages d’altitude font place à une couche nuageuse grise et épaisse, annonciatrice d’un changement de temps. Les augures célestes ne nous sont finalement pas favorables. Confirmation par le bulletin météo, qui annonce dès le lendemain, et pour plusieurs jours, l’arrivée d’une tempête poussée par des vents violents.
Le matin suivant, nous partons avec nos sacs chargés pour 6 jours loin de tout. Nous ne rencontrerons que des refuges isolés dans des lieux inaccessibles par les routes. Certains ne sont pas gardés, ce qui pimentera un peu plus notre randonnée.
Oui, le temps a bien changé. Ciel bas et sombre, légère chute de neige et vent encore modéré. Côté positif, le froid est moins mordant. La matinée se déroule sans encombre. Nous montons en suivant les branches de bouleaux (c’est le balisage local), dans un paysage de montagnes où ne nous rencontrons pas âme qui vive. Arrivés au col de Klemsu, surprise : le balisage s’arrête à la petite cabane. Nous sommes à 1600m d’altitude (l’équivalent des conditions à 3000m dans les Alpes françaises). Petit casse-croûte rapide, préparé au buffet du petit déjeuner : c’est la méthode locale.
Il neige de plus en plus et la visibilité s’est bien dégradée.
Puis je respire profondément, et je me lance dans le Blanc sans aucun repère. J’ai sorti la boussole, l’altimètre et la carte. Nous sommes en 1997 et je n’ai pas de portable, pas de GPS. Je fonctionne donc aux fondamentaux. Carte dans une main et boussole dans l’autre, altimètre pendu autour du cou, j’avance sans dévier de mon azimut en contrôlant régulièrement mon altitude. Je dois descendre dans une vallée encaissée et auparavant je dois longer et éviter une barre rocheuse. Vigilance nécessaire. L’avantage dans ce genre de terrain recouvert de neige, c’est qu’on peut avancer tout droit à la boussole. A part les grandes cassures de relief, il n’y a pas d’obstacle. Pas d’arbre non plus : l’étage de végétation arborée s’arrête bien plus bas en altitude sous ces latitudes.
Durant les trois heures qui suivent, concentration et vigilance obligent, je deviens moins loquace et tout à mon affaire. Derrière, ça suit en silence.
J’avance dans un halo blanc, cotonneux (le fameux « jour blanc »), guettant le moindre changement brusque de pente alors que la météo continue de se dégrader. Le vent devient vigoureux, renforçant l’effet de froid. La tempête de neige s’intensifie.
Je trouve le temps long, mais à mon grand soulagement (et très certainement à celui de mon petit groupe), le refuge se dessine au bout de la vallée. Yes !!! Nous croisons quelques rennes, tels un signe de bienvenue.
Repos et bière mérités ! Même en plein hiver, les refuges gardés sont très accueillants, chaleureux et confortables. C’est douillettement que nous passons la nuit dans une chambre de 4 lits, chacun bien emmitouflé sous la couette.
Un détail qui n’est pas anodin : les toilettes sont dans un autre bâtiment… On y songe à deux fois avant d’y aller.
Les trois jours qui suivent seront rudes ! Le soleil est de retour et les nuages sont chassés par un vent puissant. Régulièrement, nous sommes enveloppés d’un nuage de neige givrée qui cingle notre visage. Il est parfois tellement opaque que les branches de bouleau disparaissent. Car oui, c’est la bonne nouvelle : nous avons retrouvé le balisage. Il nous accompagnera jusqu’au bout, nous confirment les gardiens du refuge.
Pas facile de marcher avec un vent constant dépassant les 100km/h (rafales à 120/140). Les étapes sont longues, sans aucun abri possible pour une pause. Le relief souvent très ouvert offre un boulevard à Eole. Nous sommes constamment entre 1200 et 1600m d’altitude et la topographie des lieux favorise le passage du vent. Nous enchainons une succession de larges vallées séparées par des cols évasés, eux-mêmes cernés par des sommets plutôt arrondis. De nombreux lacs gelés ponctuent le parcours et, sur les plus grands, la traversée semble bien longue parfois.
Nous savourons pourtant notre chance de traverser ces montagnes en cette saison ! Les paysages sont irréels de blancheur et d’immensité ; les sensations sont décuplées par le fait que nous sommes toujours seuls et éloignés des commodités modernes. Un désert immaculé : c’est ça !
Nos rares moments de pause sont assez cocasses. Je le répète, nulle part où s’abriter et éviter les attaques du vent. Pour les contrer, on se regroupe, accroupis, en cercle, quasiment tête contre tête, en ayant au préalable déposé les sacs à dos sous nos ventres. De ce fait on crée un mini espace protégé du vent. Et là, nous sortons nos provisions (barres de céréales et mini sandwiches) de nos poches. Avec une météo pareille, il est hors de question d’ouvrir les sacs à dos sous peine de voir la neige soufflée par le vent le remplir en un clin d’œil, ou pire, de voir nos affaires s’envoler. Je sors mon thermos au breuvage chaud et réconfortant. On fait tourner la tasse.
Depuis que la météo se déchaine, je demande à chacun, chaque matin, de s’habiller chaudement et de bien se protéger du vent parce qu’on ne changera plus rien jusqu’à l’arrivée. Pas question de retirer une veste en pleine tempête et de fouiller dans son sac à dos, c’est trop hasardeux. Et chacun doit avoir des provisions dans les poches dès le départ, et être paré pour 7 à 8 heures de marche pratiquement non stop.
Les quelques norvégiens que nous rencontrons dans les refuges sont très intrigués par notre matériel et le manipulent d’un air dubitatif. Eux sont des skieurs ! Ils ne comprennent pas que nous puissions parcourir ces distances en marchant alors qu’en ski, c’est vrai, on avance plus vite ! Mais ils tiennent moins le vent, héhé ! Avec nos raquettes, nous avons une meilleure stabilité.
Néanmoins, nous suscitons la curiosité et passons pour des excentriques ! En 1997, la raquette à neige n’est pas encore à la mode, y compris en France.
Dans les refuges gardés, nous remarquons un pèse personne dans le hall d’entrée. C’est quoi ? Les norvégiens, ces solides gaillards, pèsent leurs sacs à dos avant le départ de la randonnée et en notent le poids dans le livre du refuge. Et là, stupeur ! Nous nous croyons chargés, pfft ! Le norvégien, lui, porte le double !
Un sac à dos de 20 à 25kg est courant. Leur principe ? Pouvoir être en autonomie totale (couchage, provisions, vêtements, matériel de survie, pelle, etc.. ) « au cas où ». Nous, nous avons de quoi affronter le plus urgent, pelle à neige, sac de couchage, quelques vêtements et un peu de provisions, mais nous sommes loin des charges norvégiennes.
Toujours dans un vent hurlant et un panorama hallucinant de beauté, nous continuons notre périple. Nous marchons mécaniquement, totalement immergés dans notre activité.
Mais je sens que la fatigue et la lassitude du mauvais temps commencent à gagner mon groupe.
Ce matin, pour notre avant-dernière étape, mes trois compagnons ont du mal à quitter la bonne chaleur du refuge gardé.
Le vent se déchaine toujours, l’étape sera longue, un bon 8 heures de marche, quelques lacs à traverser, pas d’abri et à l’arrivée, un refuge non gardé… La journée va être rude, ils en sont conscients ; je les comprends mais je les pousse un peu. Sachant qu’il n’y a aucune route proche, que nous avons un avion à prendre dans 3 jours, que les moyens de communications sont inexistants à part la radio dans les refuges gardés (seulement pour les urgences), nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre malgré ce satané vent.
Le groupe s’ébranle, et c’est hypnotisés par le paysage aux limites sans fin et dans la tourmente que nous avançons avec cette sensation d’être hors du temps. Je sens que derrière moi, tout le monde marche au diapason de mon rythme, chacun dans ses pensées.
En fin de journée, nous atteignons avec bonheur notre petit refuge. Nous serons seuls. Petit déneigement des congères devant l’entrée, puis il nous faut quelques minutes à l’intérieur pour décoincer les fermetures éclairs de nos vestes qui sont bien gelées. Surprise : entre notre veste gore-tex et nos chaudes polaires, une couche de transpiration givrée et blanche nous recouvre.
Nous sommes certes fatigués et sonnés par le bruit constant du vent, mais il reste la corvée de neige et du poêle à bois. Ici, tout est prévu dans un refuge non gardé : réserve de bois, matériel de cuisine, provisions de bouche, couchage, bougies, allumettes etc. Le tout dans un état impeccable et propre.
On démarre dare-dare le feu pour rapidement faire fondre de la neige qui servira pour le repas, la vaisselle, le petit déjeuner du lendemain et d’eau à boire. L’activité « faire fondre de la neige » nous occupera une bonne partie de la soirée. Incroyable comment un seau rempli de neige bien tassée nous procure si peu d’eau !
Et c’est dans la bonne humeur que nous passons cette dernière soirée au cœur du massif du Filefjell. Nous constatons que le vent tombe ; nous savons que nous avons terminé les journées difficiles. Ciel clair, grand froid, les étoiles et retour de la comète… Hourra !
C’est dans un silence apaisant que nous nous endormons.
Et c’est 100% heureux que ce matin, nous partons sous un beau soleil, sans vent, pour rejoindre notre destination finale, Tyinkrisset, après une descente ludique entre petites gorges, vallons et belles pentes enneigées. J’en profite pour féliciter le groupe d’avoir été aussi vaillant et d’humeur constante, d’avoir toujours suivi le rythme et surtout de m’avoir fait confiance dans toutes mes prises de décisions. Nous réalisons que nous venons de vivre une expérience peu commune. Sentiment renforcé par le fait qu’il s’agit d’une « route » assez fréquentée par les norvégiens, alors que nous n’avons rencontré qu’une toute petite poignée de skieurs.
Ce récit vous a inspiré?
Grand Angle peut vous organiser ce raid en raquettes ou en ski. Contactez notre expert thomas qui se fera un plaisir de vous organiser le voyage, ou retrouvez ici nos différentes voyages en raquettes en Norvège.
Nota 1: Les conditions extrêmes qu’a rencontrées Raymond sont loin d’être la norme lors des raids nordiques (à ski ou en raquettes), mais elles font partie des choses possibles.
Nota 2: les photos sont d'époque et issues de diapos, d'où leur qualité. Mais on a préféré garder le côté authentique
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Écrit le 27/04/2020 par :
Raymond Chabanier