Laurent Comte - accompagnateur en montagne dans les plus beaux treks des Alpes proposés par Grand Angle - vous raconte son périple de 14 jours sur l'un de nos rares voyages en randonnée de niveau V : Le Tour des Géants en randonnée. Le plus long, le plus haut, le plus authentique : "Le trekking des Géants" cumule tous les superlatifs. C'est un parcours grandiose, préservé, encore sauvage qui se déroule entre 2000 et 3300m, traversant 34 villages et les 16 vallées du Val d’Aoste, territoire francophone qui fut intimement lié à l’histoire de la Savoie, aujourd’hui région autonome d’Italie. Retrouvez ci-dessous son récit de voyage illustré, pour être transporté au coeur de cette randonnée mythique depuis chez vous !
Ce trek est une aventure unique
D’abord il y a le cadre : Grandiose. La vallée d’Aoste, avec ses 4 sommets de plus de 4000m, Mont Blanc, Mont Rose, Cervin, Grand Paradis possède un patrimoine naturel et paysager d’une rare beauté. La haute route, sauvage et reculée emprunte des sentiers parfaitement aménagés depuis des siècles et permet de franchir des cols alpins à l’ambiance unique.
Et puis il y l’âme, ce qu’une brochure ne peut raconter, ce qui tient de l’humain et de ses valeurs universelles telles que la liberté, la vérité, l’humilité, la solidarité. La liberté, celle que l’on ressent sur ces sentiers alpins, la vérité et l’humilité dictées par notre effort, enfin la solidarité qui nous unis et nous rend meilleurs.
Je ne suis pas un adepte de la performance pure et individuelle. Ce trek comme tous les treks, mais celui-ci en particulier est une aventure collective. Nous parvenons à franchir tous ces cols à avaler tous ces kilomètres collectivement, en équipe, solidaire et indivisible. C’est comme cela que nous avons vécu cette première traversée à l’été 2017 et c’est comme cela que nous avons vaincu notre appréhension et notre fatigue.
Ce mot pour rassurer les indécis, vous ne serez jamais seul. Nous cheminerons ensemble et nous vivrons cette aventure unique ENSEMBLE.
Carnet de route : une aventure humaine à l'ombre des Géants
Jour 1 : Courmayeur - Refuge Deffeyes
Mise en jambe
+ 1031/-148 8.79km 4h Alt mini 1599 Alt maxi 2505m
Le groupe s’agglomère autour d’un café à Courmayeur. Marie et Eric, Laurence et Pierre, Steven et Isabelle, Thérèse, Hélène, André, Roger. Je lis un peu d’appréhension, rapidement dissipée par le tumulte des cascades et l’orage qui choisit de nous tomber sur la tête lorsque nous parvenons à la bergerie du lac. Nous assistons sereins au spectacle pyrotechnique puis reprenons notre marche jusqu’au refuge Deffeyes au pied du glacier du Ruitor.
Jour 2 : Refuge Deffeyes – Planaval
Dans le vif du sujet
+1326/-2249 20km 10h (7h) Alt mini 1553 Alt maxi 2873m
Quelle étape ! 2 ascensions, 2 cols superbes.
Nous démarrons au petit matin dans les prairies humides puis franchissons le Passo Alto et son ambiance minérale, très raide sur la fin, la vue du col est à couper le souffle. La descente nous ramène au vert, alpage, torrents et mélèzes nous invitent à une petite pause avant de s’élancer sur les pentes du col de Crosatie. Des marches taillées dans le schiste nous guident au sommet, la fatigue s’envole, nous descendons jusqu’au lac du Fond pour une longue pause déjeuner les pieds dans l’eau…
Le soir à table les mines sont fatiguées mais la Pasta du patron et la complicité naissante, ce sentiment collectif d’avoir déjà vécu une aventure unique, dessine des sourires immenses sur nos visages.
Jour 3 : Planaval - Rhêmes-Notre-Dame
Par la fenêtre
+1741/-1600 27km 10h (7h) Alt mini 1513 Alt maxi 2840m
Ce matin, je retrouve le groupe très en jambe, la nuit à l’hôtel fut bonne, je choisis alors de quitter le fond de vallée qui mène à Valgrisenche pour gagner les alpages et nous « balconnons », seuls, toute la matinée jusqu’au chalet de l’épée où nous retrouvons la foule des randonneurs à la journée.
Une légère bruine intermittente nous pousse jusqu’au Col de la Fenêtre où le vent chasse les nuages et nous permet d’admirer ce lieu inouï. La haute route recèle plusieurs cols appelés fenêtre. Lorsque nous y sommes l’expression s’impose d’elle même. Dans ce décor immense, l’homme a trouvé un minuscule espace pour franchir les montagnes et relier les vallées. Nous descendons tranquillement et observons les bouquetins qui fréquentent les barres rocheuses environnantes.
À Rhêmes-Notre-Dame, nous arrivons avant l’orage, retrouvons confort et un diner de gala achève cette journée parfaite.
Jour 4 : Rhêmes-Notre-Dame - les Eaux-Rousses
Un grand coin de paradis
+1376/-1381 20km 9h (5h) Alt mini 1678 Alt maxi 3007m
Au petit matin, le ciel est parfaitement bleu. Nous musardons dans les ruelles de Rhèmes N.D avant de grimper dans la forêt, les discussions vont bon train, les courbatures, le spectaculaire diner d’hier sont les 2 sujets les plus abordés et nous accompagnent jusqu’au Col d’Entrelor. Nous célébrons la barre des 3000 franchie, admirons la vue sur le Grand Paradis puis gagnons les espaces immenses, autrefois théâtre des chasses royales de Victor Emmanuel.
Une longue pause au lac de Djouan et nous terminons la journée de marche dans l’après midi au hameau des Eaux rousses, son confort douillet et son patron singulier…
Jour 5 : Les Eaux-Rousses - Refuge Sella
La plus haute
+1621/-895 20km 9h (5h30) Alt mini 1660 Alt maxi 3298m
Nous quittons les Eaux Rousses. Je sens le groupe en forme olympique, motivé par la perspective de franchir le plus haut col du séjour.
Au bout d’une demie heure, un téléphone retentit porteur d’une mauvaise nouvelle. Eric et Marie doivent nous quitter. Eric vient de perdre sa maman. Je randonne chaque année avec eux depuis plusieurs années. Nous prenons le temps de parler un peu et nous dire tous au revoir. Le groupe repart en silence tandis qu’Eric et Marie refluent vers leur destin... Cette étape est pour eux que nous quittons à regret non sans quelques larmes.
3298m ! Nous sommes au Col Lauzon. Là haut, la vue est incroyable. « On se croirait en Bolivie » , tout le groupe est en extase devant ce panorama. Nos pensées défilent, bien sur pour Marie et Eric, et chacun pense à ses proches, à la vie si précieuse et si belle mais qui ne tient qu’à un fil et qu’il faut célébrer chaque jour, toujours…
Jour 6 : Refuge Sella - Cogne - Refuge Dondena
La plus longue !
+1450/-1923 30km 10h (7.30h) Alt mini 1514 Alt maxi 2836m
Nous quittons le refuge Sella au petit matin pour surprendre les chamois dans la descente de Cogne. Jolie citée valdôtaine, nous profitons de cette journée radieuse pour un café à l’italienne, en terrasse malgré les nombreux kms qui nous attendent. Qui va piano…
J’achète des légumes frais et des fruits juteux que nous consommerons plus haut avec délice au bord d’un torrent à l’ombre des mélèzes. Puis nous passons par la fenêtre de Champorcher sous les yeux d’un bouquetin placide, avant de rejoindre le refuge de Dondena ; ancien pavillon de chasse de Victor Emmanuel.
Jour 7 : Refuge Dondena - Donnas – Gressoney St Jean
Dolce Vita
L’étape prévue est la plus plus douce du séjour, nécessaire pour se reposer après 6 jours plutôt corsés.
Néanmoins le groupe est en pleine forme, les courbatures sont un lointain souvenir alors je propose un réveil très matinal, avec le soleil et une petite boucle sur les crêtes alentours avec un sac très allégé. Nous empruntons une petite sente raide et peu usitée pour dominer le vallon qui abrite notre refuge. L’humeur est décontractée, la journée se poursuit par une jolie descente le long d’un torrent jusqu’au charmant hameau de Chardonney. Là une épicerie comme seule l’Italie en a le secret nous approvisionne en antipasti, fromages, charcuterie et petites douceurs. Nous dressons la table pour un pique nique royal à l’ombre des pins tandis que le soleil cogne.
En attendant le bus qui nous conduira dans la vallée, certains arpentent les ruelles du village, d’autres, comme moi, se laisse aller à une merveilleuse sieste réparatrice. Dolce Vita !
Jour 8 : Gressoney-Saint-Jean - Refuge Vieux Crest
Col, lacs et vieux chalets
+1387/-989 15km 8h (4.30h) Alt mini 1531 Alt maxi 2797m
Nous entrons en pays Walser, ce peuple germanique venu s’installer à la faveur du réchauffement climatique au moyen âge, s’est sédentarisé dans ce petit bout du Val d’Aoste, à l’ombre du Mont Rose. Il fait encore une journée magnifique, nous prenons le temps pour franchir le col Pinter et profitons du soleil au bord du lac sous le col.
Dans la descente, nous apercevons le Cervin et sa silhouette caractéristique. Nous traversons le hameau de Cuneaz et ses chalets typiques. Puis nous rejoignons le refuge du vieux Crest, superbe ensemble de vieux chalets parfaitement restaurés. Ambiance douillette et cuisine valdôtaine raffinée.
Jour 9 : Refuge Vieux Crest - Crêtaz
Une super nana !
+1351/-1932 23km 10h (6h20) Alt mini 1336 Alt maxi 2776m.
Au matin nous descendons au village de St Jacques en fond de vallée. Petite halte au café du village avant d’aborder la montée vers le col Nana. Le paysage est superbe avec en arrière plan les glaciers du Cervin.
Le ciel s’est chargé, au col Nana, il fait froid, les bouquetins semblent figés comme des statues de pierre... Nous descendons rapidement pour retrouver des températures plus clémentes. Une belle descente de hameau en hameau nous conduit en fond de vallée au pied du Cervin.
Jour 10 : Crétaz - Refuge Cuney
Ensemble !
+2312/-1014 23km 10h45 (6h40) Alt mini 1343 Alt maxi 2763m
La journée s’annonce maussade, nous laissons une averse passée et démarrons sous une petite bruine. Dans la forêt nous dérangeons un chevreuil occupé à cueillir quelques pousses. Nous grimpons en silence sous la voute du barrage puis gagnons le petit refuge pour une halte chocolatée.
Toute la journée sera humide, nous évoluons en rang serré dans un brouillard épais ou sous une pluie battante, puis à la faveur d’une éclaircie le paysage se dévoile. C’est une étape merveilleuse, nous franchissons pas moins de 5 cols, empruntons de magnifiques sentiers en balcon. Plusieurs granges ou bivacco italien nous fourniront abris et halte bien méritée. Aujourd’hui nous parlons moins mais communiquons plus, la plupart du temps en silence. Je demande à « Cazul » de faire le serre fil, nous cheminons ensemble, comme si nous étions chacun une part d’un seul être. Je sens l’énergie et la détermination de chacun mais aussi l’appréhension, la fatigue, les doutes.
Au bout de notre effort alors que l’orage semble venir à nous, tel un squale autour de sa proie, en cercles concentriques de plus en plus resserré, nous parvenons dans un petit vallon suspendu et au milieu apercevons la chapelle du refuge Cuney,. Une île au milieu d’un océan agité ! La fatigue et l’appréhension du groupe s’évanouissent. Nous quittons nos vêtements trempés et nous laissons envelopper dans la douce chaleur du refuge. La nuit dans des bas flancs rudimentaires mais néanmoins confortables sera réparatrice et au matin le soleil revenu achèvera de transformer cette journée un peu difficile en l’une des plus belles expériences de ce parcours.
Jour 11 : Refuge Cuney – Closé
Balcons alpins
+555/-1822 17,5km 7h (4h30h) Alt mini 1375 Alt maxi 2516m
Le soleil prédomine et nous autorise à flâner. Sous le col de Vessonaz une harde de bouquetin assure le spectacle. De jeunes mâles s’adonnent à des joutes.
Nous prenons le temps d’admirer ces montagnards aguerris qui vivent toute l’année à ses altitudes. Nous arriverons en début d’après midi à notre gîte d’étape, nous partageons une bière locale avant de profiter chacun d’un peu de repos dans un confort douillet et intimiste.
Jour 12 : Closé - Ollomont
Par la fenêtre (bis)
+1300/-1400 19km 7h (4h45) Alt mini 1375Alt maxi 2516m
Aujourd’hui le temps est de nouveau maussade, nous décidons de partir tôt pour franchir le col de la journée avant que les intempéries ne soient plus intenses. Nous grimpons avec entrain et des nappes de brouillard couvrent et découvrent les pentes du col. Les bouquetins, tranquilles, ne s’inquiètent pas de notre présence discrète. La fenêtre est en vue, nous la franchissons allègrement et glissons dans la vallée retrouver de douces températures.
Jour 13 : Ollomont - Saint-Rhémy-en-Bosses
Grands espaces
+1741/-1500 23km 9h20 (6h) Alt mini 1389 Alt maxi 2715m
Ce matin, il fait frais, la neige tombée à 2500m recouvre les sommets et nous offre un paysage spectaculaire, contraste saisissant des alpages verts et des cimes blanches. La montée vers le col de Champillon est douce, l’humeur est à la joie, je promets la neige au col, tout le monde est ravi de cette petite incursion hivernale dans notre trek d’été, d’autant qu’il fait plutôt beau ce matin.
Avant le col, nous faisons halte au refuge Champillon récemment rénové et très cosy puis gagnons facilement le col où la neige a pratiquement fondue. Je n’aurai pas du promettre ! Qu’importe, le paysage est immense, nous devinons le Grand Combin, tout le groupe à l’unisson est saisi d’émotions. Certains sont dans l’allégresse, d’autres plus intériorisés ou submergés par leurs émotions échappent quelques larmes. C’est aussi l’avant dernier jour et chacun de nous le sait, nous avons réussi, nous serons à Courmayeur demain. Mais il faudra quitter le groupe, ce cocon dans lequel nous nous sommes lovés durant ces 14 jours et puis nous manquera aussi l’effort quotidien qui sublime tous ces paysages traversés pourtant déjà merveilleux. Nous partageons encore une fois tous ces sentiments, ces émotions, avec peu de mots.
Jour 14 : Saint-Rhémy-en-Bosses - Lavachey
Ultima & bellissima !
+1471/-1420 22km 9h15( 6h) Alt mini 1587 Alt maxi 2929m
Ce matin le ciel est bleu, parfaitement pur, comme une récompense, nous autorise à finir cette aventure sans se préoccuper du facteur météo. Pouvoir encore flâner, profiter le plus possible de ces paysages, de nous, se séparer le plus tard possible.
Et puis il y a le col Malatra (du latin malastra : mauvais passage !). Je n’ai pas de mots pour décrire ce col. Lorsque nous parvenons dessous et abordons la zone de schiste. nous devinons le sentier taillé dans les roches, comme un coup de griffe. Pour nous ce ne sera pas un mauvais passage, nous l’abordons comme tout les autres cols, avec humilité, ensemble, nous gagnons doucement les derniers lacets malaisés pour parvenir à la fenêtre. Notre regard quitte le versant suisse et le Combin et se tourne vers le Mont Blanc, les Grands Jorasses. Cette fenêtre sur le massif du Mont Blanc nous fait tourner la tête.
Nous descendons joyeux vers les premiers prés verts pour un pique nique avec vue. Hélène fait la photo de la crème Mont Blanc devant le massif éponyme, je fais des selfies avec Roger, et puis nous rallongeons encore le temps par une petite sieste avant de descendre au fond du val Ferret et rejoindre Courmayeur et la foule qui nous avale…
Merci à Hélène la bretonne (voici son récit), Thérèse l’actrice, Isabelle la belge, Laurence la sagesse , Marie-Aline indestructible from Quebec Canada, Marie et Eric de la Sarthe et dans mon coeur, Steven so british, André le belge, Cazul le runner, Roger le vert !
Cette première avec vous restera inoubliable.
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Crédit texte et photo © Laurent Comte, accompagnateur Grand Angle
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Écrit le 10/05/2021 par :
Laurent Comte